samedi 8 novembre 2014

Séquence # 1 - Night of the Living Dead - L'introduction

Pour inaugurer la rubrique des scènes représentatives de l'angoisse et des mécanismes de la peur au cinéma, il était évident de se pencher sur un film révolutionnaire à bien des égards. La Nuit des morts-vivants (1968) est une étape décisive du cinéma d'épouvante qui, dès l'introduction, frappe le spectateur avec une efficacité inversement proportionnelle à ses moyens financiers.


NARRATION

Une route de campagne… Au loin, une voiture engagée sur une route déserte. On ne distingue pas les occupants du véhicule. Une musique instrumentale aux accords dissonants provoque d'emblée un contraste avec la beauté du paysage.

La voiture, une Pontiac, quitte ensuite la route pour emprunter un sentier montant jusqu'à une petite colline. Sur la droite, un panneau signalant l'entrée d'un cimetière, fortement piqueté de rouille, est l'unique témoin d'un signe de civilisation.


Après avoir roulé un moment en bordure des premières tombes (où l'on a pu distinguer un drapeau américain laissé à l'abandon), la voiture s'immobilise et la caméra s'attarde enfin sur ses occupants. C'est un jeune couple, élégamment habillé. Barbara et Johnny. Au cours de leurs conversations à venir, nous apprendrons qu'il ne s'agit pas de jeunes mariés, mais d'une sœur et d'un frère, venus se recueillir sur la tombe de leur père.

La femme semble perturbée par la différence de lumière provoquée par le changement d'heure. Les propos paraissent un peu décalés dans un lieu de recueillement. L'homme est quant à lui préoccupé par la radio qui s'apprêtait à diffuser un "flash-info" exceptionnel. Mais il éteint le poste et n'en saura pas plus. Par ce geste, il prive également le spectateur d'une information capitale. Toutefois, on devine que quelque chose de grave est en train de se produire.

Un sentiment de solitude règne dans le vaste cimetière, seuls au loin les cris de quelques corbeaux témoignent d'une autre présence vivante que celle des deux jeunes gens.

Ces derniers s'approchent de la tombe tandis que le soleil décline. A l'heure de la méditation, Johnny ne peut s'empêcher de taquiner Barbara, se remémorant des souvenirs d'enfance dans la demeure familiale, lorsqu'il s'amusait à effrayer sa sœur avec des histoires de fantômes et autres créatures.

Deux événements surviennent alors simultanément tandis que la nuit approche. Un orage éclate, de même qu'en arrière-plan une silhouette apparaît à l'horizon. C'est la première personne à être visible à l'écran, en dehors de Barbara et Johnny, depuis le début du film. Celle-ci avance d'une démarche hésitante, elle est trop loin pour que l'on puisse distinguer les traits de son visage.

« Ils peuvent venir te prendre, Barbara ! », souffle alors un Johnny hilare à Barbara, avant de reprendre : « Ils VONT venir te prendre, Barbara ! »

L'air réjoui du frère s'oppose au regard effrayé de la sœur. Bouleversée, celle-ci passe devant la silhouette désormais très proche, mais que le spectateur ne voit que de dos. Barbara ne pense même pas à la regarder. Cela va avoir pour effet de rendre l'agression qui s'ensuit plus brutale encore.

L'inconnu se jette sans raison apparente sur la jeune femme. Dans la confusion, son frère réagit vite et se mêle à la lutte. Barbara parvient à se délivrer, elle observe sans comprendre le combat absurde qui se poursuit sous ses yeux. L'incompréhension se mêle à la peur. A la frayeur, même, lorsque Johnny a la tête fracassée contre une pierre tombale. L'agresseur n'a pas proféré la moindre parole. On ignore les raisons de son acte.

Les événements se succèdent ensuite rapidement : Barbara fuit, tombe, perd un soulier (la chaussure est montrée en premier plan, la jeune femme en second plan) puis se réfugie dans la voiture. Un gros plan nous dévoile que la clé de contact n'est pas sur le tableau de bord. L'agresseur frappe la carrosserie de ses mains, ses gestes sont rudimentaires. Il essaie vainement de pénétrer dans l'habitacle (la caméra est placée à l'intérieur de la voiture, de manière à ce que le spectateur vive la situation avec les yeux de Barbara). Il se saisit ensuite d'une pierre. Barbara libère le frein à main, la Pontiac s'engage lentement sur le sentier qui descend jusqu'à la sortie du cimetière. Alors que l'on pense que la jeune femme va être en mesure de fuir son agresseur, ce dernier apparaît inlassablement en arrière-plan, au loin derrière la vitre du véhicule. Au loin, mais toujours là !

La lenteur de l'agresseur contraste vivement avec la vivacité de la victime, mais toujours un incident fait que le danger demeure présent. D'abord, la chute de la jeune femme qui perd sa chaussure, puis l'absence de la clé de contact, et enfin la voiture qui vient percuter un arbre.

La suite va être une course désespérée pour la jeune femme, afin de trouver un abri, sinon des secours. Pour l'heure, la campagne reste désespérément déserte, la nuit est presque tombée, et Barbara demeure en grand danger. Dans le lointain, elle aperçoit une maison...

MÉCANISMES

L'isolement des personnages ou la plongée par paliers

Dans Evil Dead (1981), un groupe de jeunes citadins, plein de joie de vivre, est progressivement éloigné de la "civilisation" : ils sont sur une route puis traversent un pont pour ensuite rouler lentement dans la forêt au rythme lent de la musique de Joseph Lo Duca pour accéder à la cabane. Le contrat tacite conclu avec le spectateur venu voir un spectacle effrayant ne suffit pas. Tout le sentiment favorable peut être balayé par une mauvaise introduction, souvent quand le tempo n'y est pas. Il faut que le spectateur, même spécialiste du genre, oublie qu'il est venu voir un spectacle. Au même titre que les personnages, il doit être plongé, comme par autant de paliers de décompression, dans un "ailleurs", un monde hors de tout ce qu'il connaît déjà (*). Le ricanement n'est bientôt plus de mise face au surnaturel. Il est permit de voir un parallèle entre le personnage de Johnny et celui de Scotty, le rieur du groupe, du film de Samuel Raimi.

Il s'agit d'une mise en condition, comme le fait d'entrer dans une salle de cinéma, d'attendre, de voir les lumières s'éteindre et les rideaux coulisser en dévoilant l'écran. Quand il s'agit d'un film d'épouvante, nous décidons ou pas de lever nos défenses mentales dès les premiers plans. C'est pour cela que l'introduction n'est pas que la clé de compréhension des règles internes de l'univers du film, elle est la première épreuve de force entre le spectateur et la volonté du réalisateur de l'affronter, parce qu'on ne fait pas un grand film d'épouvante sans vouloir bousculer son audience.

Le procédé est ici le même, en plus radical encore. Les plans montrent la voiture, puis les deux personnages. Des personnages qui sont isolés dans un endroit éloigné de leur zone de confort et qui les met mal à l'aise. Barbara sera livrée à elle-même en terre inconnue et hostile. Le personnage est présenté de toute manière comme fragile, et de toute évidence peu préparé psychologiquement aux épreuves qui vont suivre. Mais qui le serait ?


Le basculement des valeurs et le double agressif

Le premier zombie "romerien" a ceci de particulier qu'il ne ressemble en rien à l'image que l'on se fait désormais du zombie. Il est loin de la créature déliquescente. En tout état de cause, bien que belliqueux, il ressemble plutôt à un ivrogne chancelant. Il est en cela très proche d'un agresseur "normal". Mais quelque chose d'étrange dans sa gestuelle, son mutisme et sa bestialité indique que cet agresseur est autre chose qu'un malade mental. En quelques plans, le monde a pourtant vacillé sur ses bases. L'autre - n'importe quel autre... même le vivant - peut devenir mécaniquement un agresseur compulsif. La notion de mort-vivant est induite d'elle-même par le lieu où se déroule l'agression. De toute façon, le spectateur ne pourrait être dupe avec le titre du film.

Ainsi, le double n'aura de cesse de poursuivre, sans prononcer une parole, sa proie parce qu'elle existe. La voiture, une carapace autour de l'humain, n'est plus un lieu de sécurité. De plus, la nuit qui tombe ajoute au contexte terrifiant. Le titre ne ment toujours pas, la nuit vient de commencer et l'histoire respectera ce strict schéma temporel (à contrario de Dawn of the Dead et Day of the Dead dont les titres ont une portée métaphorique, surtout concernant Dawn qui se déroule sur au moins plusieurs semaines). Après la voiture, ce sera la maison, le lieu de sécurité par excellence, qui sera pris d'assaut dans une surenchère logique de la narration. De façon imagée, la nuit tombe pour toute l'humanité.

La réaction Fuite / Combat comme seule issue

Contre le double, Romero établit d'emblée qu'il n'y a pas grand chose à faire. On ne peut négocier. Le cynisme teinté de raillerie du frère n'y changera pas grand chose, ceci préfigurant les pillards de Dawn of the Dead. Ceux-ci s'amuseront avec des tartes à la crème et autres jeux, mais il n'empêche qu'ils devront décamper devant le nombre. Rira bien....

À cet égard, le réalisateur semble ainsi faire taire le spectateur qui se moquerait du spectacle. Le réflexe de Johnny est de combattre pour protéger sa famille, malgré la révulsion qu'il a exprimé sur son rapport avec elle. La fin du héros protecteur est ainsi sobre et sèche mais terrible (surtout dans le contexte de l'époque). Ne reste que la fuite pour la survivante. L'implacable avancée du zombie ne sera bientôt plus individuelle mais collective. Donc d'autant plus effrayante puisque le nombre restreint les possibilités de combat et de fuite. L'histoire ne fait pas payer à Johnny son arrogance, elle lui fait payer son courage. Les valeurs les plus nobles se brisent à chaque plan. Être courageux ne suffit pas quand les morts-vivants marchent sur la Terre.


Le noir et blanc, ainsi que le procédé de retournement drastique des valeurs fait bien sûr penser à la célèbre série La Quatrième dimension (The Twillight Zone). Rod Serling et ses associés firent merveille avec quelques décors et quelques acteurs, bien qu'elle ne se soit jamais aventurée à montrer des scènes "graphiques". Ce N & B est aussi le référent de l'image documentaire en 1968 mais également celui des classiques de la Universal et de ses figures archétypales.

Le point fort du cinéaste est de synthétiser son postulat en quelques minutes en une présentation qui aurait pu largement être utilisée dans un long déroulement introductif d'une bonne vingtaine chez d'autres. Lui l'assène directement, tout en éliminant un personnage masculin sûr de lui et laissant un personnage féminin sans défense. Un procédé qui à la toute fin des années soixante devait faire l'effet d'un coup de poing.

Romero apporte un regard neuf, à la fois stylisé et documentaire, entre la vieille école gothique et celle qu'il inaugure, plus crue et plus nerveuse. Cette façon nouvelle de penser le cinéma d'épouvante influença bien des réalisateurs - et pas que des indépendants - par la suite.

FICHE TECHNIQUE

Night of the Living Dead (1968) - Réalisation : George A. Romero - Scénario : John A. Russo & George A. Romero - Avec : Duane Jones, Judith O'Dea, Karl Hardman,... 

NOTE

(*) Au cours d'une conférence sur le Nosferatu de Murnau, Pacôme Thiellement défini le passage du pont par le protagoniste principal en ces termes : « C'est le moment de basculement entre l'occultisme théorique et l'occultisme pratique. ». En effet, dès ce moment, le film devient un film "de" fantastique.


                                                                                             Phillipe Chouvel & Nathan Skars

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