vendredi 23 janvier 2015

Séquence # 4 - The Legacy - Réunion de famille


CONTEXTE

Margaret Walsh et son ami Pete Danner, tous deux architectes, se voient confier un travail à Londres. Il s'agit d'un contrat bien rémunéré, même si les commanditaires ont conservé l'anonymat. Le couple part enthousiaste pour l'Angleterre et loue une moto. Mais, victimes d'un accident de la route, Margaret et Pete sont invités dans l'imposante propriété d'un châtelain, Jason Mountolive. Ce dernier, particulièrement affable, les convie à rester pour la nuit dans la mesure où leur moto a été sérieusement endommagée et qu'il est impossible de louer un véhicule dans la région. Margaret et Pete visitent une partie du château de Ravenhurst et font la connaissance du personnel, parmi lequel Miss Addams, qui officie en tant qu'infirmière et régisseur du domaine.

Le lendemain, alors que Mountolive a étrangement disparu, quatre autres invités arrivent en hélicoptère ; et un dernier hôte les rejoindra plus tard dans la journée. Ces cinq personnes présentent le point commun d'avoir bâti un empire financier de façon suspecte (malhonnête, sinon criminelle). Et ceci avec l'aide, à chaque fois, de Jason Mountolive.


Margaret apprend avec étonnement, par la bouche de l'infirmière, que le maître des lieux s'affaiblit très vite et qu'il est mourant. Alors que la veille, le châtelain lui avait semblé en bonne santé. Tous les gens présents au château ne semblent s'intéresser qu'à Margaret, et non à son compagnon.

Et tandis que l'une des invitées se noie dans la piscine, dans des circonstances pour le moins troubles, les cinq autres convives (Pete étant exclu du débat) sont rassemblés dans la pièce où Jason Mountolive s'apprête à livrer ses dernières volontés, sur son lit de mort.


Margaret, accompagnée de Miss Addams, retrouve les autres personnes rassemblées pour une réunion très particulière. La pièce est immense, séparée en deux parties bien distinctes. L'une, en accord avec l'architecture du château, où sont réunis les invités, plongée dans une obscurité partielle ; et l'autre, une chambre stérile, équipée d'un appareil médical moderne, baignée d'une lumière vive. Le contraste est saisissant, et le fait que la personne nimbée dans la lumière s'apprête à rejoindre les ténèbres accentue le côté irréel de la scène. Les différences flagrantes liées au décor sont évidentes, tout comme la différence liée au personnage de Margaret par rapport aux quatre autres invités. Sa venue à Ravenhurst n'était pas programmée (du moins le croit-elle). Tous les convives, au contraire, sont venus par la volonté du châtelain, et chacun d'entre eux se connaissent bien. Ils savent pourquoi ils se trouvent présentement dans cette pièce, alors que Margaret l'ignore.


Mais elle va bientôt apprendre la raison de sa présence ici, lorsque la voix de Jason Mountolive rompt soudainement le silence. Une voix synthétisée, due à l'utilisation d'un vocodeur, du moins l'imagine-t-on, car le maître des lieux reste invisible, son lit étant dissimulé derrière une succession de rideaux blancs. La présence impressionnante d'appareils de soins sophistiqués laisse entendre que le châtelain est atteint d'un mal très grave, et sa voix essoufflée lorsqu'il souhaite la bienvenue à Margaret confirme d'ailleurs cette impression.

Cinq personnes sont donc assises au chevet d'une personne arrivant manifestement au terme de sa vie (sachant que rien ne laissait présager cela au vu de la première apparition de Mountolive la veille, lorsque sa limousine provoqua – volontairement ? - l'accident de moto de Pete et Margaret).


Cinq personnes, mais une seule est conviée à pénétrer à l'intérieur de la chambre stérile : Margaret. La jeune femme s'engage derrière la première rangée de rideaux, comme si elle franchissait la frontière entre deux mondes. Margaret ne comprend toujours pas de quoi il est question. Mountolive a évoqué quelques secondes plus tôt son héritage… immense, incalculable. Ainsi qu'une bague symbolisant sa puissance, la puissance qui les réunit en ce moment même, dans cette pièce.

Je vous lègue ma puissance, mes connaissances, mes biens… poursuit-il. Vous pouvez les partager entre vous à ma mort.


Margaret est à présent conviée à recevoir la consécration de la bague. Elle s'avance, passe l'avant-dernière rangée de rideaux. La voilà proche du lit, toujours invisible et conservant son aura de mystère.


Puis, brusquement, des mains surgissent de derrière les rideaux. Des mains effroyablement âgées, déformées et surtout… monstrueuses. Les mains du châtelain agrippent avec fermeté la main gauche de Margaret, pour lui glisser une bague à l'annulaire portant un aigle royal, le symbole des Mountolive. Une fois passé l'effet de surprise et de terreur, Margaret ne peut réprimer le besoin de regarder le visage de son donateur. Elle s'évanouit en le voyant.


MECANISMES

Film quelque peu oublié, The Legacy, au désopilant titre français Pyschose Phase 3 en 1979 (c'était une période où les traducteurs de titres aimaient ce chiffre pour une raison obscure, The Brood de David Cronenberg est sorti avec le titre Chromosome 3 également) est pourtant intéressant sur plusieurs plans d'analyse.

Une période charnière

En 1978, Halloween, Jaws, The Texas Chainsaw Massacre et Star Wars (1) ont rebattu les cartes de différents genres du fantastique. Il semblerait que les vieilles masures aux lourds secrets et aux malédictions séculaires soient passées de mode. Mais pas encore.

Si chaque décennie cinématographique emploie à se moderniser, du moins en surface, le cinéma fantastique des années soixante-dix aura tout du long de sa décennie, une mutation à gérer par rapport à son lourd héritage (effectivement !) gothique (2). Tout du long, puisque le film date de 1978, mais ce n'est pas un hasard, car son origine anglaise a un poids dans cette filiation.

La littérature gothique anglaise qui a inspiré le cinéma par les prismes de Frankenstein, le Prométhée moderne de Mary Shelley, Docteur Jekyll et Mister Hyde de Stevenson et le plus imposant de tous dans le cinéma, le Dracula de Bram Stoker est heurtée par les changements fulgurants des mœurs et le bousculement des codes.

Ainsi, des films comme Horror Hospital (1972) ou Tower Of Evil (1972) gardent des éléments gothiques pour les rehausser par du nu et des effets-chocs sanglants. Tardif dans cette évolution, le film qui nous occupe semble sans âge mais typique des "Old Dark House Stories", dont l'un des plus connus est Le Chat et le Canari, qui aura une itération en 1978, d'ailleurs. L'héroïne ne s'évanouit-elle pas pour conclure la séquence comme l'une de ces femmes qui s'effondraient d'effroi dans des décors victoriens ? On pourra comparer avec Le lieutenant Ellen Ripley dans le vaisseau spatial Nostromo - pourtant rendu aussi gothique qu'un manoir - dans Alien de Ridley Scott. Cet évanouissement final, si désuet, fonctionne parce que tout nous replace dans un cadre hors du temps et dans d'autres terres mentales.


Conte de fées et morale

Le Petit chaperon rouge hésite à se rapprocher du loup qui est alité. Le loup attend sa proie, caché derrière les atours d'une personne très âgée et faible, voire malade. La jeune femme s'approche à portée de griffes. Nous sommes sans l'ombre d'un doute dans le territoire du conte de fées.

Et qu'est-ce que le conte de fée sinon une transmission de valeurs ? Un legs !

Les films d'épouvante peuvent être considérés comme des contes de fées pour adultes. Ce serait oublier à quel point les contes originaux  - qui ont évolué au gré du temps et des auteurs qui les ont fait connaître - étaient noirs et effrayants, voire remplis de détails sordides. Ces récits ont vocation à faire perdurer des valeurs, des conseils et des morales. Le film est, d'une manière cynique, fort moraliste. Chacun a eu sa part, mais celui qui leur a tout concédé reprend tout. Cynique, parce que finalement, accéder à ses désirs conduit immanquablement à la chute. Pour eux, le principe de plaisir a gagné magiquement contre le principe de réalité. Sauf que ce dernier principe vient les rattraper. On peut toutefois argumenter que la morale n'est pas sauve et que le désordre perdure (le Mal n'est pas terrassé par le Bien, et pire encore, l'innocence sera corrompue). Pourtant, si l'ordre de la lignée Ravenhurst est rétabli, il ne s'agit en aucun cas d'un ordre "bon", mais il est, comme établi plus haut, moraliste. À sa manière.


Le réalisateur, Dieu ou Diable ?

Tout met le spectateur dans la position de l'héroïne. Il ne connait pas les intervenants, il se trouve dans un cadre anxiogène. Celui qui maitrise les fils du destin, dont la présence est partout, celui qui est le maître des personnages est hors champ. Le non vu, le non connu par le spectateur reste "derrière le rideau" Hitchcockien. Puis, le fantastique fait irruption dans son aspect concret, par le biais des effets spéciaux de maquillage : les mains griffues, la peau parcheminée... mais les atours du "loup" seraient encore possibles - bien qu'autrement improbables - si le maître des lieux n'avait pas été aperçu avant dans une meilleure forme.

Le fantastique s'impose comme la seule évidence parce que toute la construction nous y a préparé. Il ne s'agit pas d'un quelconque effet-choc mais d'une conclusion logique. Ce qui est derrière le rideau se doit d'être monstrueux, alors montrons-le... un peu. Comme dans les temps de l'épouvante plus anciens, où l'on devait contourner l'intransigeante censure et qu'il était nécessaire de jouer avec les nerfs de son spectateur avec le hors-champ. Old school Is Good school.

C'est par la mise en scène, la progression vers le Mal que se joue le fantastique avant tout. Dans Le Silence des Agneaux (1990) de Jonathan Demme, la progression implacable vers le prisonnier Hannibal Lecter se fait par palier. Chaque plan, chaque élément annonce l'embouchure du chemin comme quelque chose de dangereux, de sur-humain, même si contenu. Comme si de nombreux panneaux indiquaient : "N'emprunte pas ce chemin !". L'héroïne, mais aussi le spectateur ne peut empêcher son désir d'avancer à travers lui. Ce qui est le sujet principal de The Legacy, le diable est séduisant et apporte tout même s'il fait peur. Difficile de résister.

De toute façon, il n'y a pas de choix, le réalisateur nous y oblige. Qui nous dit que les démiurges sont toujours bons ?


FICHE TECHNIQUE

The Legacy (1978) – Réalisation : Richard Marquand – Scénario : Jimmy Sangster & Patrick Tilley – Avec : Katharine Ross, Sam Elliott, John Standing, Roger Daltrey, Charles Gray…

NOTES

(1) Pour l'anecdote, comme tous les amateurs le savent, le réalisateur filmera Le Retour du Jedi quelques années plus tard. Il s'était fait remarquer par son travail sur L'Arme à l'oeil (1981). Il est par contre intéressant de signaler que ce film d'espionnage tout à fait recommandable se transformait quasiment en film d'épouvante gothique dans son dernier quart.

(2 C'est ici que les puristes bondissent, puisque le terme "gothique" renvoie à bien des notions. Mais par commodité, on parlera de roman et de cinéma gothique dans l'acceptation la plus usuelle du terme. Des manoirs, des hantises, des châtelaines entourées de portraits de famille et des candélabres... Le roman gothique vient de l'amour de l'architecture gothique redécouverte plusieurs siècles après. Une définition plus complète se trouve ici.

Phillipe Chouvel & Nathan Skars


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